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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 12:49
Par Jean-Claude Guillebaud :
J'écris ces lignes de Tunis, quatre mois après ce qu'il est convenu d'appeler la « révolution ». Ici, le temps est devenu étrangement immobile. Soumise chaque soir au couvre-feu dès 21 heures, la ville paraît s'enclore dans un silence inquiet. L'histoire fait une pause. Elle hésite, à l'image d'un pays embarrassé par sa propre audace. Réflexion d'un confrère journaliste : « Nous vivions depuis 1987 dans une dictature, et nous n'étions pas préparés à la liberté. » Dans ce pays libéré du clan Ben Ali, tout reste à construire. Pas seulement sur le terrain politique mais dans les têtes, au plus profond des âmes. C'est peu de dire que ces dernières vacillent. Le dictateur est parti, mais les violences reviennent. Des policiers en civil, et encagoulés, réapparaissent sur l'avenue Bourguiba. Mais sont-ils de vrais policiers ? Nul ne le sait. Du même coup, les journalistes tunisiens formulent une réclamation singulière : ils réclament de vrais policiers, avec de vrais uniformes, et sans cagoules. Pour restaurer la confiance.

S'agissant du quotidien, on pense à un vers de la chanson de Jacques Brel « Les Marquises » : « Le temps s'immobilise. » Ici, les grands hôtels sont vides. Employés, femmes de chambre, serveurs errent, désœuvrés, dans les salons en enfilade et les couloirs exagérément astiqués. Dehors, la piscine attend les clients. Les ascenseurs sont à l'arrêt et les salles à manger silencieuses. Nul ne sait quand les touristes reprendront le chemin des plages de Djerba, de Carthage ou de Sousse. L'économie du pays en dépend. Hier, on avait repris espoir. Plusieurs journées de troubles ont eu raison de cet optimisme.

Alors ? Oui, bien sûr, des élections libres sont prévues pour le 24 juillet - les premières depuis l'indépendance de 1957 -, et une nouvelle Constituante devrait poser les fondements de la jeune démocratie. Sauf que, aujourd'hui, on n'en est plus tout à fait sûr. La semaine dernière, le Premier ministre par intérim, Béji Caïd Essebsi, a évoqué un report possible. Et, une fois encore, la rue s'est enflammée. Dans l'édition de vendredi du quotidien « La Presse », un article laissait entendre qu'un simple « référendum » pourrait tenir lieu de Constituante. Retour en arrière ? Beaucoup le craignent.

Les conversations que l'on peut avoir à Tunis expriment toutes la même incrédulité, et le même soupçon. Tout cela tient en peu de mots. Le dictateur est parti, certes, mais ceux qui le servaient sont toujours là. Par dizaines de milliers, voire davantage. Et nombre d'entre eux sont toujours à des postes de commande, aussi bien dans l'administration que dans la police ou les médias. Aujourd'hui, ces collaborateurs repentis se réclament de la « révolution du 14 janvier » avec le même zèle - et le même aplomb - qu'ils mettaient à servir le régime honni. Ils ont changé de vocabulaire, mais pas forcément de pensée. Du coup, l'évocation incantatoire de la « révolution » permet d'imposer, en contrebande, des visions politiques qui ne diffèrent pas beaucoup de celles d'hier.

Les Tunisiens sont donc entrés dans le temps du soupçon. Chacun se surveille. Dans ce petit pays de 10 millions d'habitants, chacun se connaît. On se lance volontiers à la figure l'ancienne « complaisance » de tous (ou de presque tous) avec la dictature renversée. Vendredi matin, plusieurs membres du jury du prix Albert-Londres venus de Paris en témoignage de solidarité ont eu un long débat avec une trentaine de confrères tunisiens. J'en étais. Le débat portait sur la liberté de la presse et sa fragilité.

Nos confrères tunisiens sont parfaitement conscients des menaces de principe qui, outre la dictature, pèsent sur la liberté de parole dans un pays : le poids de l'argent, le conformisme, l'autocensure, etc. Riche discussion, donc. Puis on en vint vite à évoquer le passé récent des présents. Le soupçon refaisait surface. En Tunisie comme ailleurs

15 mai 2011 08h04 | Par Jean-Claude Guillebaud

"Courage kaiserrr"

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